Självgeografi, en français

(Uppsala 1)

 

Nous roulons vers le nord,
à travers l’univers de réhabilitation des forêts suédoises
où, maintenant, le seul sentiment de sécurité est celui de l’aliénation, les villes vidées
et un silence qui donne le vertige, à l’intérieur du noir paysage forestier, au fil des kilomètres avec des foyers solitaires en rouge et blanc, unicité
est le mot dans toutes ses composants, seul brille le fanal de la station d’essence
à la périphérie des villes – coulisses, quelque part
une bande de jeunes recueillis autour de
l’animal mobylette, sinon:
pins et sapins dans un garde à vous impeccable et
absent, un renard
qui fend rapidement le fleuve noir du chemin,
dans la grande forêt qui traverse la Suède en son centre,
les participants aux courses d’orientation errent dans l’obscurité, les
lampes fixées autour du front
éblouissent, retour trompeur pour voir à la maison
les premières images, ma boussole
m’entraîne vers le nord, ”mère” et ”père” et Uppsala.
le signe astral génétique et
la croix sociale, voici Uppsala,
la première pièce, tapissée de neige et de glace
avec, dans la bouche, un arrière goût au-dessous de zéro, les saisons existaient toujours et étaient impitoyables tels l’amour et la haine,
le tremplin qui m’a projeté dans ce monde est assis à mes côtés,
et l’événement probable de ma mise au monde,
voici le lieu, l’endroit où tout a commencé, est devenu image, mot
et étonnement, tout le quartier est encore là, étonnant dans son existence jaunie,
une fente dans le mur de la vieille école est tout ce qui le sépare du mouvement de la photo de classe, nous étions là, présents, avant de nous dissoudre dans l’eau, les noires pointes d’épées de la cathédrale pénètrent dans tous les foyers, ces pâtés de maison me donnent le vertige, tout ce qu’il me reste, c’est le roulement de mes r, mon oncle, toutes ces cartes postales intérieures, Bonanza et Kroutchev, qui font une entrée fracassante
dans une nouvelle époque

 

 

(Uppsala 2)

 

les stigmatisés se faufilent dans les ruelles,
êtes-vous quelques uns ? demandent ceux qui sont déjà morts,
plus ta pierre tombale est grande
et plus ta vie avait eu de signification
à travers la ville: les sombres accords de la rivière Fyris , il n’y a ici que vainqueurs et vaincus, à se libérer de la pesanteur des ancêtres
là où chaque coin de rue
est un lieu de recueillement, une volonté
de graver, un regard en arrière
et le futur rêvé repose sur tout et tous,
les trépanés vivent leur vie
sous la face cachée des pierres, chez Ofvandals,
quelqu’un rectifie son noeud papillon avant de rejoindre la Chorale des Chanteurs,
il est aussi toi et tu es lui,
ici dans cette ville où les diaconesses se marient
toujours avec les pornographes, les rejetons
se cherchent en tâtonnant dans ce paysage
où plaisirs et interdits se font une guerre de guérilla, l’orgie
est un appel à la pureté, un rêve de
sain-te-té à l’ombre de la cathédrale, là où
est né mon désir glouton de chair fraîche
– loveflesh !-
l’emblème à double tranchant est portée par tous

 

 

(Uppsala 3)

 

le fracas du pont de chemin de fer,
annonciateur, enfance, cette notion trompeuse se rapportant à
la seule période où nous n’étions pas condamnés, le train
s’élance sur le pont, traversant le temps, la verdure et la conscience,près des massifs de groseilles à maquereau le long de la rivièreje me découvre moi-même, tendu par la force effrénée qui traverse
cette soirée de printemps, cet
univers était riche et dense comme un ”dichtung”,
pas encore fissuré et percé,
– Atlantis Luthagen !- lieu mythique,
caché et cachette étaient synonymes, dans
chaque cour trônait un châtaignier majestueux et réfléchi
sous les branches duquel il était possible de trouver de l’or

 

 

(sans titre)

 

papa met son anorak bleu et chausse
ses vieux patins de randonnée, orange jaune sur la neige,
soleil et plantes aquatiques sous la glace, immobiles
mais pourtant certaines d’entre elles flottant doucement
tels de faibles signes venant de prisonniers, les crosses de hockey et
les patins à glace décrivaient des figures et des motifs
sauvages sur la glace, papa va bientôt disparaître de nos matchs
à l’horizon, les pics à glace autour du cou se balançant
de côté comme une petite pointe,
le fait que nous puissions ainsi disparaître m’a effrayé, moi
qui aspire à toujours être au centre, entouré de corps chauds,
lorsqu’il disparut, quelle année et dans quel trou de glace, je n’en sais
encore rien, pas plus que je ne lui permettrai jamais de revenir

 

 

(Värnhem 1)

 

Plus de visages, les choses sont lisses
sans cercles d’âge, les gens ressemblent aux maisons qui sont muettes et aphasiques
comme s’ils pleuraient au plus profond d’eux-mêmes
sur la place, ils sont là décapités
avec leurs racines dégoulinantes de sang sur le sol,
souches humaines
laissés pour compte du déboisement social,
tout autour, toutes les choses sont mortes,
tel un musée de figures en cire se refusant à fondre au soleil, dans le moulin des marques fortement éclairé, les patrouilles du progrès astiquent
leur vision avec une peau de chamois et la notion coagulée
issue de l’enfance des idées, retentit en moi la même question:à qui sont ces pièces froides,
tout autour de la caravane se rassemblent les alliés:
arbres mélancoliques qui tendent les bras pour
accueillir la première pluie depuis des mois, lapins, mauvaise herbe, rouille, depuis le minaret du garage tout proche s’élève dans l’espacele chant douloureux de l’appel à la prière, sur la
scène démontée, au centre de la blessure rentable
dansent dans le crépuscule les ombres en partance de la compagnie théâtrale, l’idiot de l’autre côté de la clôture me regarde dans les yeux en murmurant:
” je vous demande d’observer le plus grand silence”

 

 

(Värnhem 2)

 

dans l’anneau de lumière du centre commercial: la mère célibataire, seule, entourée de cartons de lait, d’enfants et d’articles, si le volcan explose à ce moment-là et que
la lave s’écoule le long de Östra Förstadsgatan en se tortillant
comme un reptile rougeoyant nous allons, avec moi qui l’observe ici et maintenant, être avalés et embaumés et les
archéologues fébriles qui dans un millier d’années nous extrairont de notre oubli remarqueront immédiatement son âme solitairede mère célibataire, mon regard attristé: ils nous rassembleront, nous exposerons et rédigerons une thèse de doctorat sur nos visages: aucun de ces futurs docteurs ne pourra jamais comprendre cette époque, le chagrin de cette mère célibataire solitaire

 

 

(Värnhem 3)

 

le crépuscule à midi sur la place de Värnhemstorget,
le lit fendu de la négresse découvre
une fente bleue dans la couche de nuages, un homme seul
avec une casquette réaliste, hoche la tête en direction de
la folie

 

 

(Parménide)

 

il y a une douleur qui est inhérente à tout, ce qui
ne revient jamais plus
est commenté ou ponctué,
des événements ou des visages qui ont sombré
et dont la coque est échouée bien
en dessous de l’horizon du présent, de vieux
camarades de classe ressuscités
à un coin de rue, délavés par l’oubli, point d’exclamation sur
l’imaginaire que constitue chaque existence, il existe
toujours, il passe, tel un coup de vent
dans ma conscience, moi probablement dans la sienne, la
grande fête où nous sommes tous appelés pour la résurrection
est repoussée à une date indéterminée, tu m’as rappelé ma vie,
ne nous sommes-nous pas rencontrés ? oui bien sûr, une fois dans un autre imaginaire
qui semblait alors étonnement réel, les corps
droits, tiges vertes, où
le Parc du Roi promettait une vie éternelle, je croyais, alors, que le salut résidait
uniquement dans la fuite, maintenant
je sais que l’on ne peut jamais
entrer deux fois dans le même parc

 

 

(au Louvre)

 

coupole de voix, mur de vagues de milliers de mots qui sombre
vers le ciel en verre, franchit
les créatures marines
toi dans la rue
Monsieur le Prince ou Gay Lussac, les années passées et
”O toi que voilà, qu’as tu fait de ta jeunesse ?” les images
surgissent des effluves de la mémoire, conversation au Select,
rire grave et sonore, longues promenades
nocturnes d’un bar à l’autre, le reste ce sont
des images désintégrées dans ma main, ces
événements répétés constituent une ”histoire”
les voix montent vers cette voûte en verre, s’enfoncent et se retirent
comme la marée, j’entend dans le silence
les vagues murmurer
qu’aucun de nous ne sera jamais plus réel que ce déferlement de vagues,
cette musique qui bouillonne en nous depuis des temps immémoriaux

 

 

(à Georges Navel)

 

”Je voulais changer le monde, tout ce que j’ai fait c’est apporter un bouquet de violettes
aux Parisiens”
Georges Navel

 

Tu m’as reçu dans un paysage de lavande, moi, vieil ours sur le point de quitter ce monde d’ici-bas, ”à Paris, on ne voit pas les étoiles”, as-tu écrit dans ton premier livre, ici, dans ta vallée, tu avais l’immense voûte céleste au bout de tes bras, je suis arrivé comme étranger, reparti comme ami pour revenir en tant que tel, tu as arrêté ta mobylette, sorti un canif usé et épluché une pêche, les tournesols se sont retournés sur toi avec curiosité et, jamais, je n’ai rencontré personne si proche de la vérité de la pêche, tes mains enserraient les fruits et les outils tel l’amant sa femme, nous passions nos nuits assis sur la terrasse construite de tes mains et encastrée dans le flanc de la montagne, nos corps purifiés par l’obscurité de la nuit, nos voix seules se distinguant sous la voûte étincelante, toi le maître, moi le disciple, t’écoutant parler de Nietzsche, de la guerre et de l’art difficile de peler une pêche, un an plus tard, nous nous sommes rencontrés pour nous dire au revoir, nous nous étions donnés rendez vous dans ce café où Blaise Cendrars et Rilke s’étaient affrontés, Rilke, fils d’officier, armé de son sabre, Cendrars de son unique bras et de son esthétique ridée, c’était suffisant pour mettre en fuite le noble, j’étais au milieu de ma vie et ne voyais pas les mouvements lents des homards dans l’aquarium, mais toi qui te tenais debout sur le seuil, tu les as immédiatement remarqués, je t’ai, ensuite, fait passer de l’autre côté du fleuve, Boulevard du Montparnasse au coeur du ventre de l’énorme animal là où, une fois, dans le métro, en route pour les usines Citroën, tu as lu Kant, ”Proust, dis-tu, serait mort avant ses vingt ans s’il s’était retrouvé sur les mêmes chaînes”, tant il est vrai que, parfois, les vérités les plus simples doivent faire leur entrée dans le monde de la poésie pour en élargir l’horizon, nous sommes rentrés à Meudon et tu m’as proposé du cassoulet et du vin rouge, j’ai mangé comme un cochon et j’ai bu trop vite, as-tu dit et, ensuite, tu m’as demandé de rechercher dans Libération, la nécrologie que tu avais écrite sur un ami tombé au combat, toi qui pouvais à peine marcher, tu avais pris le métro jusqu’à la rédaction pour déposer ces mots que tu avais porté comme des oeufs d’or à travers la foule, tu t’es illuminé, transfiguré, quand j’ai retrouvé tes mots au bas d’une page, un moment plus tard, tu as disparu de la table et je suis resté seul avec le cassoulet et le vin, j’ai fini par me mettre à ta recherche dans la maison et t’ai trouvé au premier étage, enfoncé dans un fauteuil en osier, les fenêtres grandes ouvertes, le regard tourné vers le ciel et c’est ici que nous nous sommes dis adieupour l’éternité, toi figé dans cette image en train de boire les étoiles du ciel de la banlieue.

 

 

(la Calera, Chili 1985)

 

nous escaladons la montagne dans la chaleur de midi, Miguel, le guide,pointe son doigt dans la direction de la grotte d’où personne ne ressort vivant,en dessous de nous s’étale la ville d’un gris couleur de ciment, les eaux du fleuve sont au plus bas et le mot tristeza tourbillonne comme la poussière le long des rues, un cavalier traverse l’eau, la lumière jouant sur le corps du cheval, nous fêtons Noël et le jour de l’an avec les vivants et les morts, le chant de Julio plane au-dessus des tôles ondulées du bidonville, Pablo parle des électrodes et du dos qui ne sera jamais guéri,là où les familles sont tout ce qui reste de la société, la leçon d’histoire de la bourgeoisie arrive à son terme et, cet été, les corps des élèves exécutés sont déterrés du sol cimenté de l’usine, un jour une statue d’eau sera élevée au professeur

 

 

(à A)

 

sorcière de chair et louve de beauté,
tu as alimenté les bûchers tout au long des siècles et tu parles une langage
que j’aime mais que je ne pourrai jamais apprendre,
tu me dévores de tes yeux en feu et expérimentés, le sentier
enlace nos corps, couleur de falaise,
les vagues se dressent écumantes et
retombent triomphantes sur le drap,
nous nous réfugions sous le toit, l’orage
purifie l’été alors que la chair dit non
au langage, danse sauvage
alors que la sève explose et les corps sont illuminés,
qui vois-tu dans mon corps intérieur ?
qui vois-tu dans ton corps intérieur ?
lumière & pluie
se remarquent au loin, par delà cet instant dans le monde
où nous nous mettons à l’abri pendant ces instants fantastiques
qui ne voudront jamais se répéter, la promenade
à cheval en remontant le fleuve, le cavalier
est brusquement jeté à bas de son cheval et revient à lui une courte
éternité plus tard, sans sa monture, lisses et froids d’oubli
nous réchauffons le monde de nos corps, je veux
manger et être mangé et je te porte sauvage
tel un conquérant par dessus le soleil et la lune,
tu tournoies et grognes
et il pleut du soleil dans la pièce, quand
nous ressuscitons il n’y a aucun souvenir
pour nous mentir la vérité, nous rassemblons les
restes de soleil derrière nos paupières,
tu as un nouveau visage qui dit m’aimer, le soleil
traverse les rideaux pour la première fois,
rosée d’amour sur nos corps apprivoisés,
l’appartement: une nature morte d’objets chauds et purifiés
nous abordons à nouveau le langage,
sorcière blondeavec une mer
dans chaque oeil

 

 

(sans titre)

 

partagé en deux, une travée tremblante, la hache,
ma bonne vieille compagne, veut me couper en deux, quelque chose
veut tomber dans l’espace, échapper à la responsabilité
de ma vie alors qu’un autre – o moi ! –
prend des forces comme une pluie d’étoiles dans mon univers, j’ai osé, ma tête
heurta le ciel lorsque le fleuve
prit place dans mon univers, dans mon coeur et
mon langage

 

 

(sans titre)

 

la petite fille se couche en s’allongeant entre les grands immeubles en buvant l’or du soleil, tout est représenté en images
lorsque je franchis le pas vertigineux d’un être
à un autre,
regard,
j’ai été appelé et j’ai continué
mon chemin, la lame du couteau
brille encore dans ma main,
tu seras toi, à
chaque coin de rue s’ouvre la réalité abrupte,
la femme qui avale deux bouffées sur son vélo
en plein coeur du trafic des heures de pointe matinales est immortalisée, pas même la mort ne semble effrayante dans cette lumière

 

 

(sans titre)

 

je m’arrête au bord du chemin, paysage et ciel
comme des images, un croissant de lune veille jalousement caché
dans l’azur,
et
brusquement
une étoile dégringole dans le fond
de la poche du ciel,
je me dresse sur la pointe des pieds,
la ramasse, remonte
dans ma voiture et rentre directement
à la maison pour
te la remettre